“Limina”
08/10/2021 — 15/10/2021
La NON-MAISON
5 Villa de Guelma, 75018, PARIS
Ancien atelier de Georges Braque Restitution d’une résidence de 3 mois à La Non-Maison. Exposition hebergée par Michèle Cohen
Pas d’hospitalité. Nous allons. Nous nous déplaçons : de transgression en transgression mais aussi de digression en digression. […] Où mènent ces étranges
procès d’hospitalité ? Ces seuils interminables, infranchissables donc, et ces apories ?
— Jacques Derrida
J’emprunte à Derrida ses mots qui me guident vers l’univers de Olivia Stora, je passe
la porte de l’exposition Limina. Limina est le pluriel de Limen, qui signifie seuil en
latin.
Olivia Stora travaille la terre. Elle utilise des terres blanches chamotées, use de
mélanges de sable et d’oxyde, l’aspect primaire des matériaux se contraste aux
émaux opalescents et minéraux.
Les oeuvres façonnées se montrent dans leur matérialité. L’origine d’un geste de
création : faire sortir de terre. Ce qu’elle anime, met en forme et en espace, ce sont
des bribes d’histoire, de temps figé.
Elle nous invite à s’insérer, tout au long de son oeuvre, à l’intérieur et au travers
de seuils, dont les contours se dérobent et se transforment à chaque passage.
J’insiste et utilise sciemment le terme « inviter » car l’invitation est le mouvement qui
lie les deux sujets de l’hospitalité : l’hôte invité, le public, l’hôte invitant, l’artiste. C’est
bien dans la relation à l’autre que se fabrique du temps. Un temps qui devient
medium. L’hospitalité qui se joue ici fait émerger un moment de marche, de
fluctuation. Elle peut être comprise dans la durée de ce mouvement qui définira le
lieu - ici celui de l’exposition.
A l’entrée de l’exposition, plusieurs images, portées par deux plaques de verre,
accueillent le visiteur. Cartographie mentale de formes et de signes. Lieu au repères
spatio-temporel brouillé, peut être coincé, lové dans un interstice qui fait système.
Une matrice qui annonce et accompagne le voyage dans le travail de la terre, mais
aussi, invite à l’égarement, au déplacement : à l’erreur belle.
Grâce à ce registre de formes, signes et symboles, la traduction des mots opérée par
la terre donne lieu à l’invention d’une langue autre, pour recevoir l’Autre dans une
forme d’entre et devient finalement, une hospitalité poétique, organisée par la main
de l’artiste.
Olivia Stora nous accueille dans son monde, un univers où les objets viennent
déranger nos codes et repères. La matérialité de ces derniers, présents dans
l’espace d’exposition, viennent bousculer notre compréhension du rôle de ces objets.
La fonction de ces artefacts est mise en sourdine laissant finalement place à l’objet
en tant que présence. Olivia Stora interroge la notion d’essence, d’universel et de
permanence de l’homme à interagir autour de lui. La langue n’est plus secrète, elle accueille ; convie le public à y tracer des lignes entre des points donnés, entre une
colonne ici et un chandelier là-bas. Il n’est pas question de décrypter, c’est la
poétique des formes, les unes à côté des autres, qui nous permet d’apercevoir un
fragment de l’histoire que l’artiste raconte.
Une histoire du rituel, donnant la part belle à l’histoire de la céramique. Les objets
usuels, touchés, échangés et manipulés par l’homme, ont souvent, de tradition et
depuis des siècles, étaient les intercesseurs, réceptacles du sublime, du sacré. Ces
objets posés à terre habitant l’espace, et plus particulièrement cette vasque emplie
d’eau, génèrent une tension qui nous emmène vers un ailleurs, nous invite à lever
les yeux. Notre regard a le vertige, et suit le récit indiciel évoqué en début
d’exposition par la langue de la terre.
Venir creuser, fouiller, dans ce lexique de signes et symboles, nous replace en
archéologue, et laisse s’opérer devant nos yeux un jeu temporel. Passé ou futur, ces
formes organiques sorties de terre appartiennent à un temps que l’on ne saurait
situer : un temps, une impulsion fluide et indécise. C’est alors une étude
topographique de la temporalité que l’on désire entamer.
Comprendre le relief de ces différentes strates minérales, organiques, pyriques,
botaniques. Les quatre qualités élémentales dialoguent dans ce lieu : un lieu volatil,
chaud, froid, et humide à la fois.
Peut-être qu’il faudrait résister à la tentation de comprendre l’espace d’exposition,
l’espace de l’Oeuvre comme un lieu géographique. Plutôt que de se poser la
question d’un seuil à franchir, ne faut-il pas faire état de cette respiration, de ce qui
joue dans ces interstices dans lequel on entrerait de dos, presque aveugle - sans
qu’importe d’aller au-delà.
Texte par Sacha Guedj-Cohen
DU PROJET La NON-MAISON
5 Villa de Guelma, 75018, PARIS
Ancien atelier de Georges Braque
Michèle Cohen
Directrice de la Non-Maison